Pour une aide active à vivre !
(Tribune parue dans le journal Le Monde du lundi 19 septembre 2022)
Au moment où le Président de la République vient de présenter les termes d’un débat national sur la fin de vie, en entamant un examen approfondi de son avis, nous notons que le Conseil National Consultatif d’Éthique (CCNE) souligne surtout « qu’il ne serait pas éthique d’envisager une évolution de la législation si les mesures de santé publique recommandées dans le domaine des soins palliatifs ne sont pas prises en compte ». Il précise même qu’il faut développer les soins palliatifs « avant toute réforme ».
Nous entendons les interrogations de notre société. Nous sommes sensibles aux souffrances de personnes malades en fin de vie ou très sévèrement atteintes de pathologies graves. Nous percevons les détresses de leur entourage, bouleversé par leurs souffrances, voire désespéré par un sentiment d’impuissance. Nous savons bien que les questions de la fin de vie et de l’approche de la mort ne peuvent pas être abordées de manière simpliste.
À l’écoute de malades, de soignants, de familles, d’acteurs des soins palliatifs, nous percevons que le besoin essentiel du plus grand nombre est d’être considérés, respectés, aidés, accompagnés, non abandonnés. Leur souffrance doit être soulagée, mais leurs appels expriment aussi leur besoin de relation et de proximité. L’attente la plus profonde de tous n’est‐elle pas l’aide active à vivre, plutôt que l’aide active à mourir ?
Depuis plusieurs décennies, un équilibre s’est progressivement trouvé dans notre pays pour éviter l’acharnement thérapeutique et promouvoir les soins palliatifs. Cette « voie française » a pu faire école et dit quelque chose du patrimoine éthique de notre pays. Nos soignants, qui ont à faire face à tant de difficultés concrètes pour faire vivre notre système de santé, expriment souvent combien ils sont attachés à cet équilibre qui constitue l’honneur de leur profession et correspond au sens de leur engagement.
Depuis plusieurs décennies, les soins palliatifs, qui prennent en compte aussi bien le corps que la vie relationnelle et l’entourage des malades, ont fait progresser la solidarité et la fraternité dans notre pays. Mais ils sont encore absents d’un quart des départements français ! La priorité ‐ selon le CCNE lui‐même ‐ est de faire disparaître ces « déserts palliatifs ».
Durant la crise du COVID, notre société a fait de lourds sacrifices pour « sauver la vie » en particulier des personnes les plus fragiles, au point même parfois de sur‐isoler les personnes malades ou âgées afin de préserver la santé de leurs corps. Comment comprendre que, quelques mois seulement après cette grande mobilisation nationale, soit donnée l’impression que la société ne verrait pas d’autre issue à l’épreuve de la fragilité ou de la fin de vie que l’aide active à mourir, qu’un suicide assisté ?
La question de la fin de vie est si sensible et si délicate qu’elle ne peut pas se traiter sous la pression. Comme a commencé de le faire le CCNE, et comme l’a fait en d’autres temps la Commission dont Jean Léonetti était le rapporteur, il est nécessaire d’écouter sérieusement et sereinement les soignants, les associations de malades, les accompagnants, les philosophes, les différentes traditions religieuses pour garantir les conditions d’un authentique discernement démocratique.
Les questions posées par la fin de vie et par la mort, sont cruciales pour notre société si fracturée et pour son avenir. Les réponses que nous saurons collectivement y apporter conditionnent notre capacité à promouvoir une authentique fraternité. Celle‐ci ne peut se construire que dans une exigence d’humanité où chaque vie humaine est respectée, accompagnée, honorée.
Signé : les évêques membres du Conseil Permanent de la Conférence des évêques de France (CEF) : Mgr Éric de Moulins‐Beaufort, Président de la CEF, Mgr Dominique Blanchet, évêque de Créteil, Vice‐Président, Mgr Vincent Jordy, archevêque de Tours, Vice‐Président, Mgr Pierre‐Antoine Bozo, évêque de Limoges, Mgr Sylvain Bataille, évêque de Saint‐Etienne, Mgr Matthieu Rougé, évêque de Nanterre, Mgr Alexandre Joly, évêque de Troyes, Mgr Jean‐Marc Aveline, cardinal, archevêque de Marseille, Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen, Mgr Laurent Ulrich, archevêque de Paris.